La peinture de riz

Les techniques de peinture de riz dont je me suis inspirée émanent d'une très ancienne coutume culturelle de l'Inde.

Cet art populaire pratiqué par les femmes représente un héritage commun, une synthèse des différentes cultures de ce pays. Dans chaque foyer à l’occasion de certains cultes annuels, les femmes décorent les murs et le sol de leur maison. Ces peintures sont destinées à purifier et embellir la maison, à honorer les dieux, elles tiennent lieu de prières. C’est principalement à Lakshmi, la déesse de l’abondance, de la fertilité et de la prospérité que sont dédiées ces peintures rituelles. Chaque région, chaque communauté possède un style artistique particulier, et chaque famille crée ses propres dessins.

Cet art dont la femme Indienne est dépositaire, n’a jamais ou presque suscité la moindre reconnaissance, c’est un art traditionnel mal connu, que ce soit en Inde ou ailleurs. Ces créations ne sont pas réalisées par des professionnels, mais par les membres de la famille, et de plus, par des femmes qui se transmettent les techniques depuis des générations.

Enfin, ces œuvres éphémères renouvelées tous les matins avant le lever du soleil ne sont jamais destinées à être conservées.*

Ce qui a attiré mon attention dans l'utilisation de ces matières simples, c'est d'une part leur origine naturelle et d'autre part leur aspect éphémère.

Le travail de recherches entrepris lors de mon cursus formatif en art-thérapie m'a démontré que l'utilisation de matériaux naturels comme la peinture de riz avait un impact sur les sens, l'odorât en particulier et pouvait ainsi être un facteur d'inductions dans les mécanismes psychologiques.

L'éphémère est un outil thérapeutique intéressant pour tout ce qui concerne les problèmes de coupures, de détachement, de lâcher prise. C'est aussi une façon différente d'aborder l'art, dans la pratique mais surtout dans la pérennité de l'œuvre qui est aléatoire suivant les techniques utilisées.

J'ai remarqué qu'en utilisant la peinture de riz pure, sans liant, c'est-à-dire comme l'utilisent les femmes en Inde pour effectuer les peintures rituelles, la peinture étalée plus ou moins en épaisseur, sèche puis se craquelle, enfin tombe et laisse sur le support une empreinte blanchâtre.



Cette empreinte délicate et légère, très différente d'aspect par rapport à l'originale, m'a interpellée par ce qu'elle suggère.

La matière, en se décollant, transforme l'apparence de l'œuvre, l'empreinte extérieure se dégrade et s'éclipse définitivement laissant comme un fantôme de sa présence (le fantôme en terme minéralogique est la trace de la structure cristalline). Il s'agit en réalité de poussières de riz sèches qui restent sur le support.

Cette trace, au départ invisible, est pourtant contenue dans l'œuvre comme si elle était dissimulée par l'apparence externe, visible et consistante. Elle se dévoile lorsque la couche extérieure tombe.

On pourrait dire que, lorsque les apparences se dissipent apparaît alors l'essence de ce qui reste. Les métaphores ne manquent pas pour illustrer cette image.

L'essence concerne l'essentiel c'est-à-dire ce qui est dégagé de l'enveloppe, ce qui est à l'intérieur des choses et en constitue la raison d'être, la racine.

Mais pour aller à l'essentiel il faut décortiquer l'enveloppe, enlever ce qui est autour, ôter les protections, dégager de l'espace, en un mot, faire le vide.

Une empreinte intérieure se révèle à partir du moment où l'on accepte d'abandonner, de perdre quelque chose, quand le visible s'esquive.

« Ces peintures représentent tout ce qu’est la Vie, quelque chose d’éphémère dont il faut prendre soin pour la conserver le plus longtemps possible. »

*Stephen P. Huyler : Peintures sacrées de l’Inde (Arthaud 1994)